SMALL WORLD

13e Biennale Taipei TFAM – Taïwan – 18 novembre 2023 au 24 mars 2024

Photos ©BrianKuanWood/TFAM

L’œuvre écrite et photographique de Paul Virilio sur les bunkers du Mur de l’Atlantique trouve naturellement sa place au sein de la 13e Biennale de Taipei (Taiwan) au Taipei Fine Arts Museum (TFAM). Intitulée « Small World », cette édition réunit 58 artistes et musiciens autour des notions d’échelles et de proximité, d’isolement et d’interconnexion, dans un contexte de post pandémie marqué par de fortes tensions géopolitiques. L’approche singulière de Paul Virilio « enfant de la guerre » a retenu l’attention de Brian Kuan Wood, l’un des trois commissaires de l’exposition.


« Pour ses réflexions sur l’influence de la technologie et de la guerre sur la conscience moderne, Paul Virilio (1932-2018) est aujourd’hui connu comme le philosophe de la vitesse.
À la fin des années 1950, il a été fasciné par les milliers de « blockhaus » nazis abandonnés le long du littoral français. Virilio a grandi tout près de la côte mais n’en a jamais fait l’expérience en tant qu’enfant, en raison des fortifications qui en interdisaient l’accès lors de la Seconde Guerre mondiale. La découverte de ces étranges bâtiments à l’âge adulte a dû se faire en parallèle de celle de l’étrangeté de la mer elle-même, le « continent liquide » auquel il ne pouvait accéder alors qu’il s’en trouvait si proche. Bien que construits pendant l’occupation nazie de la France vingt ans plus tôt, les bunkers abandonnés sont apparus à Virilio comme d’anciennes ruines, mais avec des géométries suggérant des vaisseaux extraterrestres. Pour le philosophe, ils évoquaient également l’intimité entre raison moderne et violence. Les bunkers ont été construits pour faire la guerre au littoral, mais, sans menace immédiate après la guerre, ils ne pouvaient que contempler l’étendue infinie de l’océan lui-même. Bunker Archéologie, l’archéologie des bunkers, est à la fois le titre d’une exposition (à Paris en 1975) et d’un essai de Virilio (accompagnant les photographies prises entre 1958 et 1965). Œuvre désormais reconnu comme une réflexion sur le point limite où la guerre – comme expression absolue de la technologie moderne – ne peut que se retourner contre elle-même.
Situés au point de rencontre de la terre et de la mer, les bunkers de Virilio, dans leur mélancolie de ruines témoignent de l’inutilité et de la pathologie sécuritaires de l’intimité entre soi et l’ennemi, entre maison et prison. Aujourd’hui, ces structures sont des emblèmes évidents de conflits territoriaux dont la nature a profondément changé. La « Forteresse Europe » était un terme utilisé par les deux camps pour distinguer l’Europe occupée par les nazis des territoires alliés. Le même terme est aujourd’hui utilisé par les partis politiques d’extrême droite qui cherchent à empêcher les non Européens d’entrer, mais aussi à limiter le mouvement d’étrangers des pays voisins au sein de l’Union européenne elle-même. » par Brian Kuan Wood

Brian Kuan Wood est un écrivain basé à New York et éditeur fondateur d’un e-flux journal. Depuis 2015, il enseigne au programme MA curatorial Practice de la School of Visual Arts de New York, où il est directeur de recherche.

La Biennale de Taipei 2023 expose une série de 27 photographies de la série Bunker Archéologie, avec deux bunkers supplémentaires faisant office de sentinelles gardant les galeries du premier et du deuxième étage. Bunker Archéologie, 1958-1965, impressions giclées, 27 pièces, dimensions variables. ©Sophie Virilio